Culloden : « une tragédie romantique »

Images tirées du film de Peter Watkins.

Les révoltes jacobites et, en particulier, la bataille de Culloden demeurent une plaie vive dans l’esprit et le cœur des Écossais. Qui visite Culloden — comme ce fut mon cas, en juillet 2009 — ne peut que ressentir la solennité de ce lieu et être frappé par l’atmosphère singulière qui en émane. Il est étrange de songer qu’en une heure le destin de l’Écosse fut scellé en ce lieu bien moins vaste que l’imagination ne me le laissait supposer. Ce qui se joua ici en ce jour d’avril 1746 engendre encore des conséquences de nos jours et nourrit l’imaginaire des Écossais.
Étape ultime du génocide, le mémoricide (1) impose un autre type d’effacement comportant une dimension métaphysique ou, pour le moins, ontologique. Le mémoricide peut être défini, selon nous, comme un processus de destruction délibérée de ce qui est à la source de l’identité d’un peuple, à savoir ses us et coutumes, sa religion, sa culture, ses arts, voire ses monuments, etc. C’est, dirions-nous, un « paysage imaginaire et symbolique » qui est alors effacé par les vainqueurs, un paysage barbouillé par le sang et les larmes des martyres de la « Cause perdue ». Au-delà de l’élimination physique des êtres appartenant à un lieu donné (ce qui serait une des définitions possibles du génocide), il s’agit de supprimer radicalement (au sens étymologique de ce mot) toutes les traces d’un passé qui rappelle leur existence en ce lieu et d’interdire, par conséquent, tout prolongement et toutes résurgences ultérieures. Politique de la terre brûlée, phagocytage méticuleux d’une culture ou d’un groupe par un autre, le mémoricide vise l’effacement psychique ; il est la forme ultime du négationnisme, par extinction des souvenirs incarnés et transmis dans des traditions, des symboles ou des œuvres, quand le génocide, lui, se limite à la « simple » disparition physique des êtres.
Le mémoricide succède à un génocide pour le parachever et effacer jusqu’à ce dernier ! En effet, ici, le mémoricide porte autant sur les conséquences du génocide (Prohibition Act, Highland Clearances…) que sur le génocide lui-même. Culloden est le nom d’un génocide, mais également — et c’est le paradoxe de Culloden, devenu le lieu de mémoire… du mémoricide ! — de l’échec partiel, sur le long cours, d’une tentative affirmée de mémoricide. Par conséquent, Culloden, lieu sacrificiel, fait aujourd’hui partie du roman national (2), voire nationaliste (3), écossais. C’est peut-être surtout un des chapitres de ce légendaire — qu’il convient de concevoir comme un livre mental rempli d’enluminures à la gloire des personnages et des événements illustres d’une nation et à disposition de cette dernière afin d’en exalter la fierté et le courage, notamment si elle est ou se sent menacée par l’altérité — dont un peuple a besoin pour conserver son identité, même si paradoxalement celle-ci en arrive, par réaction contre un effacement programmé, à avoir partie liée avec la fiction. C’est sur ce retournement du mémoricide sur un génocide que nous aimerions interroger ici, à travers un fait historique traumatisant.

I. CULLODEN, UN MOTIF HISTORIQUE JACOBITE

Au cœur de l’hiver 1745, l’Angleterre se vit menacée par une invasion inattendue. Une armée rebelle, avec à sa tête le Jeune Prétendant au trône britannique, Charles Edward Stuart, marcha vers le sud pour s’arrêter net à moins de 300 kilomètres de Londres. Des mois durant, l’armée britannique tenta de freiner la progression des forces jacobites que l’on avait sous-estimées. Les jacobites étaient partisans de la restauration du roi catholique James II d’Angleterre (à savoir James VII d’Écosse) et de ses successeurs, James Francis Edward Stuart, dit le « Vieux Prétendant », et de Charles Edward Stuart, connu sous le nom de « Jeune Prétendant » ou, plus poétiquement, de « Bonnie (4) Prince Charlie ». Leur nom vient de « Jacobus », la forme latine de « James ». Lors de la « Glorieuse Révolution » de 1688, James II avait été évincé et remplacé sur les trônes d’Angleterre et d’Écosse par le protestant Guillaume d’Orange (William III) — son neveu — et son épouse Mary, qui était la fille aînée de James II. La reine Anne succéda à Guillaume en 1701 et, à la mort de celle-ci, en 1714, la couronne revint à la maison protestante allemande de Hanovre, excluant ainsi pour la deuxième fois les Stuarts catholiques. Les soulèvements jacobites de 1715 et 1745 furent les réponses les plus tragiques à ces événements-là. Le soulèvement jacobite fut motivé par le mécontentement face à la domination anglaise, aux tensions religieuses et par le désir de nombreux highlanders de restaurer la monarchie des Stuarts en Écosse. La cause jacobite était également soutenue par ceux qui rejetaient le centralisme britannique et la répression culturelle des Highlands. Par conséquent, on était jacobite pour deux raisons essentielles : par principe légitimiste (contre l’usurpation orangiste et hanovrienne) et par nostalgie du temps jadis (5). On l’était également si l’on se sentait faire corps avec un groupe persécuté : clans non presbytériens des Highlands, tenants de l’Église épiscopale d’Écosse… Le jacobistisme n’était pas uniquement écossais ou catholique, et ce, contrairement aux apparences, car les jacobites étaient également, pour une part, protestants — même s’ils étaient partisans de la restauration du roi catholique, James II. Le soutien au mouvement jacobite reflétait des griefs politiques et économiques contre l’Union de 1707 entre l’Écosse et l’Angleterre. Et ce soutien jacobite transcendait facilement les clivages de classe, de variation religieuse ou de sexe (6).
La bataille de Culloden, qui eut lieu le 16 avril 1746 et se tint près d’Inverness, fut le théâtre d’un massacre effroyable dont témoignent les tombes commémoratives des divers clans. À Culloden, les forces de Charles Edward Stuart, furent rapidement vaincues par les troupes anglaises du duc de Cumberland. Culloden demeure l’un des événements fondateurs de l’histoire écossaise, incarnant à lui seul la fin de la vieille société des clans (les juridictions héréditaires furent donc abolies) et le début de la transformation de l’Écosse sous la domination anglaise. Elle est la dernière bataille armée sur le sol britannique et l’ultime affrontement majeur du soulèvement jacobite de 1745. Cette défaite signe la fin tragique des espoirs jacobites et le début d’une répression effroyable, sans trêve, contre les highlanders (7). Cette répression visait à « pacifier » les Highlands et à renforcer l’unité britannique, entraînant un effondrement de la culture gaélique écossaise. L’act of attainder (acte de proscription ; l’Angleterre interdit aux Écossais de jouer de la cornemuse, d’enseigner le gaélique (8) …) et les lois qui suivirent (le disarming act, par exemple, qui prolonge la loi de 1715 et interdit les armes aux Écossais) mirent définitivement fin aux révoltes jacobites et affaiblirent considérablement la culture écossaise (promulgation notamment du Dress act de 1746 qui interdit le port du tartan). Cette volonté d’effacer la culture des highlanders et les actes de barbarie des hommes du duc de Cumberland sur le champ de bataille (peu de blessés jacobites furent faits prisonniers, la plupart étant achevés sur place par l’armée du duc de Cumberland qui envoyait des escadrons de la mort pour éliminer les survivants, ce qui lui valut le surnom de « Boucher ») sans oublier la pourchasse sanguinaire des sympathisants jacobites, fut un choc invraisemblable et sera le ferment d’un certain climat nationaliste. Des milliers d’Écossais furent tués ou expatriés. Le traumatisme est encore profond de nos jours et la seule résilience possible réside, vraisemblablement, dans l’usage du légendaire national.
En effet, bien des Écossais adhéreront alors à une espèce d’« histoire parallèle » nommée Guid Auld Lang Syne (le bon vieux temps jadis), à savoir un passé mythique tissé de récits héroïques et de légendes anciennes. Cette histoire offrait un cadre flamboyant pour leur identité collective, exprimant leur perception de qui ils étaient, de leur histoire et de leurs aspirations. Cette vision du monde a également alimenté la cause politique jacobite, renforçant son importance au-delà de la simple question de succession royale, pour s’étendre et s’enraciner dans les domaines de l’identité culturelle et de la fierté culturelle nationale (9). Cette expression est notamment associée à une certaine image de l’Écosse traditionnelle avant l’Acte d’Union de 1707 et avant la déposition des Stuarts, période où l’Écosse était indépendante ou en union royale distincte avec l’Angleterre. Ce Guid Auld Lang Syne représente ainsi une sorte de mythe originel pour les Écossais de l’époque. Le jacobitisme ne cesse d’enfanter, encore aujourd’hui, une conscience nationaliste fondée sur la réactivation d’images de cet âge d’or supposé. Cette ranimation romantique et romancée des héros de l’Écosse ou des événements fondateurs est produite par divers arts, notamment littéraires. Le jacobitisme et ses martyrs sont des éléments essentiels de cette romantisation — car il s’agit bien de cela — du passé. Par exemple, par le biais de chansons : l’adaptation et l’invention de chansons jacobites par les sources jacobites et post-jacobites ont joué un rôle essentiel dans la création d’une image de l’Écosse comme « une nation essentiellement celtique », foyer du tartan et de la claymore, et celle d’un peuple opprimé, mais toujours héroïque. Les martyrs et les héros sont les pères du sentiment nationaliste. La chanson est un medium puissant et elle se propage vite et loin. La chanson jacobite était la voix d’une nation sans voix qui a fini par donner sa voix au… romantisme ! Dans le cadre restreint de ce court essai, il n’est pas possible de développer ce point, mais il faut souligner que les grands poètes et écrivains Robert Burns et James Hogg ont retravaillé des paroles et des thèmes préexistants pour leur donner une aura qui a dépassé le contexte de leur création originelle.

II. CULLODEN, UN FILM, CELUI DE PETER WATKINS

À titre d’exemple d’une réappropriation ou d’une (ré)interprétation possible du motif historique Culloden à une époque plus proche de nous, nous avons choisi, dans ce cadre, de présenter l’œuvre de Peter Watkins , qui fit montre, dans son « documenteur » (11), d’une radicalité artistique peu commune. Culloden est à peu près l’antithèse du film flamboyant de Mel Gibson, Braveheart, pour citer un film commercial ayant connu un grand succès, ou d’Outlander (12), une série contemporaine assez séduisante — en tout cas, elle l’était jusqu’à la saison 3 et elle incorpore à peu près tous les images que l’on retrouverait dans le légendaire de l’Écosse, bien que d’une manière trop romantique et, in fine, plutôt manichéenne. Watkins prit le pari d’estomper les limites des genres du reportage, du documentaire et de la reconstitution historique, en mêlant l’œuvre elle-même et son commentaire réflexif, tout en jouant avec les temporalités discursives et en œuvrant dans une zone aux contours flous et/ou flottants, afin de proposer un autre récit de l’histoire, en opposition directe avec les formes dominantes du film de cinéma ou de télévision (à savoir « le standard » qu’il nomme avec mépris la « monoforme » (13)). Plus généralement, il s’agira de montrer, à travers cet exemple frappant, comment la littérature, le cinéma, la peinture ou la musique ont pu contribuer à construire, à partir d’un traumatisme historique, une image fantasmée d’un des plus violents combats connus par un pays et comment cela continue de produire à l’envi des images qui servent une conscience nationale ou nationaliste. En effet, bien que Culloden soit intellectuellement une des œuvres les plus exigeantes de cette période traumatisante de l’histoire écossaise et, même si le film n’est pas dénué de partis pris, l’œuvre de Peter Watkins mériterait aussi d’être étudiée pour bien d’autres raisons que son intérêt historique.
Encore aujourd’hui, l’épopée tragique des jacobites est souvent dépeinte comme celle d’un aventurier, Bonnie Prince Charlie, perçu comme un naïf, voire un hurluberlu, un catholique intégriste et absolutiste, ennemi du progrès, à la tête de troupes de highlanders décrits, eux comme des sauvages ignorants, mal dégrossis et superstitieux. La bataille de Culloden a ainsi été présentée comme la défaite méritée ou logique d’une armée jacobite mal équipée, mal encadrée et assez indisciplinée. La docu-fiction de Peter Watkins de 1964 illustre bien cette interprétation, malheureusement, et ce n’est pas en cela qu’il peut servir à romantiser la conscience nationaliste des Écossais. En revanche, le film fait, sans le vouloir, de Culloden une « tragédie romantique » où les pauvres highlanders se font massacrer par les troupes du duc de Cumberland et où leurs femmes et leurs enfants souffriront bientôt à cause d’eux. Ils sont d’autant plus courageux qu’ils sont les perdants et, bientôt, les martyrs d’une cause perdue d’avance. La longévité de l’histoire jacobite s’explique avant tout par son attrait romantique : c’est une belle et bonne histoire ; qui peut, d’un point de vue moral et psychologique, résister au charme et à la noblesse des vaincus ?
Le film : le 16 avril 1746, une équipe de télévision se retrouve sur le champ de Culloden pour exposer, si l’on se fie au générique, « l’une des batailles les plus mal gérées et brutales de Grande-Bretagne ». À travers des interviews face caméra, soldats et commandants des deux camps expliquent les causes sociales et politiques de ce dernier conflit civil britannique, ainsi que les raisons matérielles de la défaite des jacobites. Le documenteur montre ensuite le carnage résultant de la bataille et documente les « pires atrocités » de l’armée britannique, dépeignant la répression meurtrière des Highlands comme un acte de génocide, au cours duquel les sociétés anglaise et écossaise des Lowlands (14) ont « détruit un peuple » dans le gàidhealtachd (c’est-à-dire les régions où la culture et la langue gaélique écossaise sont solidement implantées, principalement les Highlands et les îles de l’ouest de l’Écosse) pour consolider le projet politique britannique unitaire associé à l’Acte d’Union de 1707 entre les parlements anglais et écossais.
Culloden associe une précision historique minutieuse — suivant, parfois, la bataille minute par minute et la durée du film est censée correspondre à la durée de la bataille, à savoir une petite heure ! — à un anachronisme évident, imaginant des caméras de télévision filmant cet événement survenu deux siècles avant leur invention. Il est très remarquable que le cinéaste fasse parler ses acteurs (non professionnels) en gaélique puis qu’il traduise, ensuite, en anglais leurs propos. Cela pose la question de la destination de son film (commandé par la BBC) et montre deux réalités linguistiques superposées. Nul doute que le réalisateur adopte d’une manière générale le parti des jacobites. Les highlanders — hormis les chefs de clans et Bonnie Prince Charlie — ont les dents cariées, ils sont présentés comme physiquement abîmés, leurs vêtements sont sales et éraillés. Les Anglais ont des dents en parfait état et de la tenue dans leurs vêtements. L’image induit violemment ce décalage qui ne peut laisser le spectateur indifférent. Des anecdotes révoltantes sont relatées (mutilations de femmes, bébé fracassé par terre par les Anglais) et retournent les ventres les plus solides. « Pendu, écartelé et éviscéré » sera le traitement du « rebelle » qui n’aura pas eu la chance de mourir sur le champ de bataille.
De plus, le film transforme son analyse détaillée d’un conflit culturellement marqué en une parabole sur l’absurdité et l’hypocrisie de la guerre (il établit aussi un parallèle avec d’autres conflits contemporains des années 1960 — en particulier la guerre du Vietnam). Le résultat est une œuvre qui démystifie méthodiquement l’un des événements les plus romancés de l’histoire écossaise. Culloden, au-delà de sa richesse formelle et thématique, offre un contrepoint aux représentations traditionnelles de la rébellion jacobite et de l’identité nationale écossaise, souvent idéalisées et politiquement contestables, que l’on trouve dans des films commerciaux et dans toute une imagerie romantique. Le film, tout en suivant pas à pas les événements de la bataille, déconstruit la mythologie jacobite et l’historiographie populaire en mettant en lumière les causes et les dynamiques sociopolitiques complexes du conflit. Bien que le film fasse montre de sympathie pour les highlanders (la scène d’ouverture, par exemple, qui montre les troupes hanovriennes marchant fièrement vers la caméra, nous plaçant ainsi dans la position des dominés, celle des troupes hagardes et affamées de Charles Edward Stuart), souvent contraints de suivre la cause jacobite, il souligne que les deux camps en présence à Culloden reposaient sur des systèmes d’inégalité et d’exploitation. En effet, le narrateur invisible de Culloden qualifie à plusieurs reprises le système de clans traditionnels des Highlands d’« impitoyable » soulignant qu’il réduisait la majorité de ses membres au statut de biens échangeables. Le film met également en lumière l’opposition significative à Prince Charles parmi les Écossais et souligne une vérité scandaleuse : Charles était confronté à plus d’Écossais armés contre lui — même parmi les highlanders, une partie était loyale au roi George II ! — que pour lui à Culloden ! Il montre ainsi que la guerre était davantage une guerre civile concernant tous les Britanniques qu’un simple conflit entre l’Angleterre et l’Écosse. La citation finale, tirée de Tacite (15) tombe comme un couperet : « Ils ont créé un désert et appelé cela la paix ». Elle renvoie à la brutalité du duc de Cumberland, réplique des méthodes de soumission d’un général romain (16). Watkins dira que sa principale motivation était la suivante : « C’était dans les années 1960, et l’armée américaine ‘pacifiait’ les Highlands du Vietnam. Je voulais établir un parallèle entre ces événements et ce qui s’était passé dans nos propres Highlands britanniques deux siècles plus tôt, notamment parce que notre connaissance de ce qui s’était passé après Culloden était essentiellement limitée à une image exotique de ‘Bonnie Prince Charlie’ apposée sur l’étiquette d’une bouteille de whisky Drambuie. Deuxièmement, je voulais rompre avec l’usage conventionnel des acteurs professionnels dans les mélodrames historiques, et la mise à distance confortable de la réalité permise par leur présence, en utilisant des amateurs — des gens ordinaires — dans une reconstitution de leur propre histoire. Une grande partie des personnes incarnant l’armée des Highlands dans notre film étaient des descendants directs de ceux qui avaient été tués dans les landes de Culloden. » (17) Ce dernier point est très fort. Il établit une filiation directe entre la réalité et la fiction. Ce qui est également très remarquable, dans le film de Watkins, et ce qui en fait un fils spirituel d’Eisenstein, ce sont les visages crispés, figés dans une expression de surprise horrifiée. Le fictionnel commence ici, lorsque le factuel est la matière d’une réappropriation mémorielle par des êtres qui n’ont pas vécu le traumatisme, à travers des traces mortes auxquelles on insuffle de la vie, de la légende, du symbole. Impossible, dans le cadre restreint de ces lignes, de tenter une psychanalyse de l’âme écossaise — si une telle chose existe —, mais il semble que l’Écosse soit hantée par divers fantômes, à la manière dont Abraham et Torok l’expriment pour les consciences individuelles dans L’Écorce et le noyau.
La mémoire collective écossaise a transformé le génocide et la tentative de mémoricide qui a suivi en un récit national fort « assombri par le mythe et la romantisation » (18). Comme l’a montré Murray G. H. Pittock, ces deux visions opposées de la question jacobite se sont établies depuis 1745 et l’une et l’autre sont le fruit d’une simplification idéologique. La première, romantique, voit les soulèvements héroïques et désespérés d’un peuple voué à disparaître, alors qu’en réalité le jacobisme était déjà en voie d’extinction avant Culloden, de même la structure clanique. La seconde considère les jacobites comme les représentants d’une société arriérée, condamnée non pas par la fatalité ou par les Anglais, mais par l’inéluctable marche du progrès ; et Peter Watkins verse dans cette dernière vision en nous présentant des highlanders qui sont pour certains alcooliques, stupides et brutaux. Pour autant, le visage des enfants, avec leurs yeux si grands, grands comme l’abîme du désespoir, à la fin du film, ne peut que nous rendre compatissants ou solidaires de leur destin, tout comme l’était selon toute évidence Peter Watkins.

III. CULLODEN, UN MOTIF FICTIONNEL AU SERVICE D’UNE CONSCIENCE NATIONALISTE

Après la défaite de 1746, le gouvernement britannique chercha à réprimer toute manifestation du mouvement jacobite, et le jacobite devint alors clandestin. Afin d’identifier et d’exclure les sympathisants jacobites des postes d’autorité, le gouvernement britannique rendit obligatoire le serment d’allégeance à la Couronne et à la succession protestante. Cependant, la peur et la suspicion à l’égard des jacobites demeurèrent enracinées, même pendant plusieurs décennies après les rébellions, et peut-être les spectres de tous ces highlanders massacrés hantaient-ils la conscience anglaise… Avec la présence implicite du « Bonnie Prince Charlie » et de sa cour jacobite exilés sur le continent, le jacobite était toujours considéré comme une menace de trahison qui planait pour la Grande-Bretagne. De lourdes peines furent imposées pour trahison et sédition, de sorte que presque toute expression ouverte de sentiments jacobites pouvait entraîner de lourdes sanctions juridiques, lesquelles pouvaient aller jusqu’à la peine de mort. Les jacobites étaient donc obligés de communiquer leur allégeance en secret, d’une manière clandestine ou codée (la rose blanche, symbole des jacobites, par excellence, le blanc couleur des Stuarts et des Bourbons, le bleu qui était une couleur jacobite ou le rouge ponceau, couleur du tartan de Bonnie Prince Charlie…), comprise uniquement par ceux qui partageaient leurs sympathies. Ainsi des vêtements pouvaient comporter des motifs ou des symboles destinés à inspirer le courage, la loyauté, l’espoir et l’unité et à promouvoir la cause jacobite. On se reportera, à cet égard, en annexe, à des extraits du dernier texte d’importance écrit par J. M. Barrie, Adieu, Miss Julie Logan, que nous avons choisi, parce qu’il dit, explicitement et implicitement, toute la complexité de la situation écossaise, voire la schizophrénie d’un certain nombre d’Écossais : divisés par le nord et le sud, par le gaélique et le scots (et l’anglais !), non unifiés politiquement et religieusement, traîtres les uns pour les autres… mais également frères d’âme. La tragédie est là ! Le motif jacobite traverse, il faut le noter, toute la fiction de Barrie et s’incarne tout particulièrement dans Adieu, Miss Julie Logan, où un pasteur romantique est amoureux ou hanté par un fantôme jacobite et catholique (un peu à la manière de Mrs Muir, héroïne du film éponyme de Mankiewicz, d’après le roman d’une Irlandaise, R. A. Dick). On peut y voir un retour du refoulé… Le pasteur est à demi lowlander et à demi highlander, à savoir rationnel et insensible à la superstition et, en cela, il est à l’image des Anglais, des Saxons, mais aussi tout l’inverse… Le ministre de la congrégation presbytérienne est le garant de l’ordre spirituel et son sacerdoce s’oppose à toute forme de sensualité. Il doit donc lutter contre les légendes, les superstitions, et tout ce folklore qui colore la vie des gens simples, des montagnards écossais. Il doit lutter aussi contre ses pulsions. Le narrateur nous est présenté dès la première page comme un homme qui monte la garde et se tient prêt au combat. Il est déchiré entre une Écosse féminisée, tentatrice, maléfique presque, incarnée par Julie Logan, à savoir un monde archaïque, mais séduisant, en proie aux superstitions et au catholicisme, et les exigences de sa fonction sacrée. Barrie (1860-1937) était né dans les Lowlands, à la frontière des deux Écosse ; ses textes manifestent, avec divers clins d’œil pas toujours perceptibles à la première lecture, une chaleureuse sympathie pour les jacobites, tout en faisant mine, par jeu, d’être choqué par leurs idées. Il a même créé une sorte d’idiolecte, dans ses romans de jeunesse, mais aussi dans les textes ultérieurs, où il mâtine son parfait anglais de mots scots, de dialecte doric et, parfois, de quelques mots de gaélique, ce qui lui permet d’établir une connivence clandestine avec certains lecteurs, tout excluant les Anglais, de manière très subtile, mais fort aimable. Presque tous les grands écrivains de l’Écosse du XIXe siècle et parfois encore après sont remarquables d’ambiguïté, de dualité à tout le moins, et cela est frappant. Tous sont un peu Jekyll et Mister Hyde…
C’est Walter Scott qui transforma Charles Edward Stuart en un héros romantique au destin tragique, fortifiant ainsi la légende, née en 1688, au lendemain de l’éviction de Jacques II Stuart au profit de Guillaume d’Orange. Devenu personnage de légende grâce à la littérature, à la chanson ou à la peinture, il entraînera dans le sillage de cette légende personnelle tous les partisans de la restauration des Stuarts et les événements qui les mettent en lumière. Un roi déchu, un prince audacieux, et une armée d’exilés meurtris. Ces éléments essentiels du jacobitisme — dans un paysage fantasmatique fait de lochs, de glens et de brumes, de valeureux highlanders… et de leurs fantômes — sont les éléments propices à la romance et à l’aventure. Il n’est donc pas surprenant que les Stuarts et leurs partisans jacobites aient inspiré les premiers élans du romantisme écossais, visibles dans les œuvres d’auteurs comme Sir Walter Scott ou Robert Louis Stevenson pour ne citer que deux figures très emblématiques, ou encore la poésie de Robert Burns, mais aussi certains airs populaires tels que The Skye Boat Song. Lutter pour une cause perdue (et supposée juste !) face à l’oppression, écrire en entortillant la fiction autour des deux soulèvements jacobites fascinent encore aujourd’hui, comme en témoignent les copieux romans historiques et romantiques de Diana Gabaldon (terme générique : Outlander) déjà mentionnés plus haut. La fiction résout cette question : comment parler d’un traumatisme collectif que l’on n’a pas vécu, mais qui agit comme un refoulé dans la psyché collective, si ce n’est en le stylisant, en l’incarnant dans un autre type de représentation ?
Que ce soit Walter Scott, J. M. Barrie ou R. L. Stevenson et bien d’autres, chacun à sa manière va se réapproprier ce trauma. Par exemple, dans Le Maître de Ballantrae (1889), Stevenson adoptera les deux points de vue qui s’opposent : le vieux lord Durrisdeer décide, de manière assez absurde, que l’un de ses deux fils ira combattre auprès du prétendant au trône, tandis que l’autre restera fidèle à la couronne d’Angleterre. Comme l’écrira Jean-Yves Tadié « (…) le recours à l’imaginaire historique écossais ressemble à la résurrection des pirates dans L’Île au trésor : il réveille de vieux rêves collectifs, et fournit ces deux camps opposés dont tout roman d’aventures a besoin » (19). La lutte fratricide est une allégorie, celle d’une Écosse coupée en deux. Comme chez Barrie, le discours des jacobites, de la « cause perdue » s’exprime par la voie romanesque.
En diabolisant le papiste de Bonnie Prince Charlie et ces « sauvages » d’highlanders, il s’agissait de légitimer le pouvoir en place et de poser la première pierre de ce qui deviendra l’Empire britannique après avoir éliminé les opposants écossais (et irlandais). Cette légitimation passera par la destruction des structures sociales, des langues celtiques, des coutumes en mettant un point final à la culture et à l’identité écossaise — un mémoricide, disions-nous, après le génocide. Mais à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, l’Empire britannique, ayant besoin de soldats, modula son discours dominant : le « sauvage inculte » devint alors le « noble sauvage », une figure qui, bien qu’ayant perdu avec honneur, avait désormais reçu les bienfaits de la civilisation et se voyait, alors tout policé, invité à participer à la grandeur impériale. La présence précieuse des troupes écossaises dans l’armée britannique imposa ainsi un adoucissement de ce discours. Sous l’influence de Walter Scott, le roi George IV popularisa une mode écossaise qui, dans un style romantique, célébrait les éléments les plus visibles — kitsch dirions-nous, peut-être, aujourd’hui — de la culture gaélique (kilt, cornemuse) sans pour autant reconsidérer en profondeur l’interprétation du soulèvement de 1745. C’est une récupération des highlanders au service de la création d’une identité nationale. Le folklore, le mythe, le légendaire surgissent lorsque l’identité nationale est perçue comme menacée. Walter Scott et ses romans historiques contribueront à une réconciliation de l’Écosse avec elle-même en faisant le portrait du highlander sous les traits d’un bon sauvage (Rousseau est passé par là !) dont la virilité, et la fidélité à des idéaux naïfs et d’un autre âge l’a fait dévoyer… La romantisation des jacobites sert la conscience nationale et le progrès. Walter Scott sera donc l’ouvrier d’une réconciliation entre partisans des Hanovres et des jacobites, entre les presbytériens et les épiscopaliens et les catholiques… Mais, il faut le souligner, les personnages de Walter Scot parlent le scots (et non le gaélique !) et il écrit un anglais parfait, sans oublier que les Gaëls sont pour lui des personnages romantiques à maintenir dans les brumes de l’imaginaire. De même les hommes des Lowlands et le scots ne sont pas plus valorisés. Le réveil véritable du nationalisme écossais viendra, par conséquent, d’ailleurs : par la voie celtique et le contact avec leurs frères de langue, les Irlandais.
La glorification la plus évidente des Stuarts et de leur cause résidait toujours, inévitablement, dans l’art et les symboles qui se sont développés autour d’eux. Bien que les premiers poèmes jacobites soient plus remarquables pour leur enthousiasme que pour leur habileté littéraire, ils montrent les racines du revivalisme romantique ultérieur à travers leurs héros, leur désir d’une terre perdue et la réaffirmation du droit divin des Stuarts. James Francis Edward, le Vieux Prétendant, apparaît comme un héros souffreteux et un modèle de vertu. Il est intéressant de noter que ce nationalisme écossais peut aussi inspirer les Français que l’on qualifie de « nationalistes » (à tort ou à raison et le mot est pris en bonne ou en très mauvaise part), même plusieurs siècles après. Nationaliste, Jean Raspail, l’écrivain-explorateur, ne l’était pas — sauf pour ceux qui n’ont pas d’imagination et ne comprennent pas que, pour lui, si nationalisme il y a, il s’agit des principes d’une royauté… sans roi. Il était, en effet, plutôt royaliste, ou plus exactement exalté par le symbolisme de la royauté catholique, par une transcendance, et il a surtout écrit des romans que l’on pourrait qualifier d’utopistes. Le roman de Jean Raspail, Le Roi au-delà de la mer, un « chant de gloire et de mort » selon les mots mêmes de l’auteur, s’adresse à un roi imaginaire et s’inspire, en filigrane, de la figure de Bonnie Prince Charlie, comme archétype de la belle et noble cause — quelle que soit cette cause à partir du moment où elle exalte une conscience d’appartenance à un pays ou elle exprime un idéal plus grand que soi — qu’il s’agit de faire revivre : « Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l’on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n’assiège plus, car la vie s’en est allée ailleurs. » C’est donc la royauté du cœur qui anime les écrits de Jean Raspail et, si je l’évoque par cette citation, c’est pour signifier que ce qui est à l’œuvre dans le romantisme jacobite qui naît à partir du XIXe siècle est de la même eau. Le titre du roman de Jean Raspail est, bien entendu, une référence à cette pratique-ci : les sympathisants de Bonnie Prince Charlie faisaient discrètement passer leur verre au-dessus d’une carafe d’eau, pour rendre hommage au prince, qui était le roi au-delà de la mer, car exilé en France.

CONCLUSION : CULLODEN OU LE CÉNOTAPHE D’UNE ÉCOSSE FANTOMATIQUE ET FANTASMÉE

Il s’agira, à présent, de démythifier Culloden et de dire de quoi Culloden est le symptôme ou, plus positivement, le bourgeon. La culture et l’identité écossaise n’ont pas été anéanties en 1746 et ont su, bien au contraire, perdurer, malgré tout : analyser les discours dominants permet ainsi de libérer l’histoire écossaise et de redonner place aux réalités historiques de manière plus nuancée. À Culloden est mort ce qui ne va pas, paradoxalement, cesser de revivre, même sous forme de revenants : une Écosse fantasmée, glorieuse, fière d’elle, qui est le fondement d’une conscience nationaliste. En effet, c’est parce que cette Écosse est morte à ce moment-là qu’elle a pu et peut encore hanter l’Écosse vivante et l’enjoindre à réincorporer le motif jacobite dans ce que j’ai appelé son légendaire. C’est pourquoi je parle également de « cénotaphe ». Culloden est ce mot-cénotaphe, celui d’une tragédie romantique, parce que sans cesse romantisée par la littérature, le folklore, la peinture, les films, les séries
Il n’y avait pas une, mais plusieurs Écosse, radicalement opposées, celle des Highlands et celle des Lowlands. L’Écosse des Hautes-Terres parlait le gaélique (considéré comme un obstacle à la propagation des idées protestantes et associé à la barbarie !), celle des Basses-Terres le scots, proche de l’allemand et de l’anglais. Les Lowlanders étaient plutôt partisans des Hanovres, même si les Lowlands étaient divisées à ce sujet, et ce sont même eux qui, sous les ordres du Duc de Cumberland qui se livreront à des massacres de civils dans les Highlands après Culloden ! Les nobles n’étaient pas tous d’accord, et la gentry était divisée entre presbytériens et épiscopaliens. La division entre presbytériens et épiscopaliens était plus ou moins celle des whigs (20) et des jacobites. La Révolution de 1688 avait laissé l’Église épiscopale en Écosse déclassée et même interdite par la loi. Les épiscopaliens écossais, par conséquent, étaient nécessairement jacobites, cherchant à créer une contre-révolution. Le cœur du jacobitisme écossais était bel et bien situé dans les Highlands, mais un soupçon de jacobitisme agitait les Lowlands écossaises. C’est pour cette raison que je trouvais les extraits de Barrie que l’on peut lire en annexe très révélateurs d’une situation fort complexe et même franchement paradoxale à certains égards.
Selon les historiens whigs, les Écossais des Highlands étaient celtes, tandis que les Écossais des Lowlands étaient considérés comme germaniques. Les Anglais eux-mêmes étaient considérés comme un peuple germanique, et ainsi lesdits historiens whigs pensaient que les Écossais des Lowlands et les Anglais étaient d’une origine ethnique commune, tandis que les Écossais des Highlands constituaient un groupe ethnique étranger. Un certain nombre d’historiens whigs maintiennent donc que la division entre les Highlands et les Lowlands était à la fois une division ethnique, géographique, culturelle, religieuse et politique. Stevenson, lui, dans l’une de ses lettres à Barrie écrira ceci, en février 1892 : « Je me plais à croire que cela vous fera plaisir d’apprendre que la suite de mon roman Enlevé ! est en cours. Je n’en suis pas encore arrivé à parler d’Alan — ainsi je ne sais pas s’il est encore en vie — mais David semble avoir plus d’un tour dans son sac. J’étais content de constater que la théorie anglo-saxonne s’est fourvoyée. J’ai donné à mon jeune homme des Basses-Terres un nom gaélique, et j’ai même fait des commentaires à ce sujet dans le texte. Pourtant, la plupart des critiques ont reconnu en Alan et David un Saxon et un Celte. Je ne sais pas ce qu’il en est en Angleterre, mais en Écosse, au moins, où le gaélique est parlé à Fife depuis un peu plus d’un siècle et depuis guère plus longtemps à Galloway, je réfute le fait qu’il existe une chose telle qu’un pur Saxon et je pense qu’il est plus que discutable qu’il existe un pur Celte. Mais qu’avez-vous à faire de tout cela ? Et qu’en ai-je à faire ? Continuons à graver nos bouts d’histoires et laissons aux barbares leur fureur ! » (21) Ce passage est donc une critique de l’idée de « pureté » ethnique et de l’essentialisme culturel, en particulier en Écosse où l’histoire est faite de brassages et de mouvements de population. L’Écosse est multiple ; l’Écosse est une ; vive l’Écosse ! Vive les mythes !
Culloden est une tragédie nécessaire (logique) pour certains et une tragédie romantique ou romantisée pour d’autres. Il s’avère, de plus de plus, que l’on doit réévaluer nos connaissances quant à cette bataille qui fait désormais partie du légendaire et du roman national(iste) écossais. En effet, certaines études historiques et archéologiques assez récentes montrent que la réalité de Culloden est plus complexe qu’il n’y paraît, ces découvertes étant mises à jour, par exemple, dans deux études, Fight for a Throne: the Jacobite ’45 reconsidered écrit par Christopher Duffy, expert en histoire militaire britannique, et Culloden par Murray Pittock, lesquels remettent en cause les connaissances sur le sujet. Des fouilles archéologiques ont révélé que la bataille avait été beaucoup plus violente que l’on ne le pensait jusqu’alors et que l’artillerie et les armes à feu avaient été largement utilisées du côté jacobite ! Les sauvages higlanders n’étaient pas aussi arriérés qu’on avait bien voulu le dire. Ce qui ne correspond pas à la version habituelle des faits. Mais les mythes ont la vie dure ! Selon les deux auteurs cités, l’armée jacobite était une armée moderne, bien équipée, disposant d’une logistique très rationnelle. Elle eût été capable de tenir tête aux troupes britanniques ; et sa défaite à Culloden s’explique surtout par la cavalerie anglaise, non par un manque d’équipement ou d’entraînement.
Que la bataille de Culloden en 1746 ait eu des implications politiques majeures pour l’Écosse ou non dépend de la manière dont les événements sont interprétés et des facteurs qui sont mis en lumière selon les desseins des uns et des autres, bien entendu. Les historiens whigs sont critiqués pour avoir minimisé de manière excessive l’influence politique du jacobitisme, tandis que les romantiques et « révisionnistes » sont accusés de trop s’appuyer sur des arguments contre-factuels, presque mythologiques.
Néanmoins, il semble crédible et honnête de soutenir que le mouvement jacobite a bien eu un impact sur la politique écossaise, mais les conséquences politiques exactes restent difficiles à déterminer. Au début du XIXe siècle, une vision romantique du jacobitisme, empreinte de nostalgie et de sentimentalisme, a émergé, présentant les jacobites comme des héros des Highlands. Ce courant, surtout présent en littérature avec des figures telles que Robert Burns et Sir Walter Scott, influençait peu ou prou les études historiques de l’époque. Bien que très favorable aux jacobites, cette vision partageait avec l’historiographie whig une approche linéaire de l’histoire, décrivant les jacobites comme des héros condamnés, figés dans le passé. Au XXe siècle, ce romantisme a été ravivé par des historiens modernes souvent sympathisants de la cause jacobite. Aujourd’hui, cette perspective romantique, liée au nationalisme écossais, reste influente dans la mémoire culturelle et les débats sur l’indépendance écossaise. Certains historiens ont considéré que Culloden était le moment de l’histoire écossaise qui avait contribué à une sorte de « Pax Brittannica ». Le jacobitisme et Culloden ont alimenté le nationalisme écossais, qui est l’un des facteurs importants entrant en ligne de compte dans les divisions actuelles entre l’Écosse et l’Angleterre. Bien qu’un processus de dévolution ait eu lieu au fil des siècles, permettant à l’Écosse de retrouver une partie de son autonomie avec un Parlement écossais à Édimbourg, une certaine animosité subsiste entre les deux nations. De nombreux Écossais se battent aujourd’hui pour l’indépendance de l’Écosse, et le nationalisme écossais, fondé comme tous les nationalismes sur un âge d’or réel ou fantasme, ou encore sur un événement ou un être sacrificiel, reste un élément central dans cette lutte. J’en veux pour preuve ceci : lors du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, en 2014, après la défaite du « oui », apparut sur les réseaux sociaux une campagne visant à maintenir en vie la cause indépendantiste, sous le mot-dièse #the45, en référence à la fois au résultat de la consultation (45 % de « oui ») et à l’événement historique… (22)
Selon une formule souvent attribuée à tort à Walter Scott, mais qui semble en réalité tiré de la plume de Boswell, les Écossais « sont patriotes de cœur, mais unionistes de raison ». (23) Opposer le cœur et la raison, c’est opposer, ici, l’émotion, la romance même, à l’histoire, au sens de l’histoire. Rien d’étonnant à cela de sa part : on sait que Boswell considérait les highlanders comme des primitifs, pour ne pas dire pire, et qui n’étaient pas capables d’autre chose que de ramener l’Écosse vers le passé, allant jusqu’à nier la barbarie des hommes de Cumberland pendant et après la bataille de Culloden — ce n’est pas un hasard si lui et Johnson ne passeront pas par Culloden lors de leur périple en Écosse… La vérité est peut-être que les êtres qui veulent éliminer les barbares sont peut-être les véritables barbares. Si l’on veut prendre le parti de l’ironie amère, on pourrait dire que, in fine, ce fût une bénédiction pour le Romantisme, pour l’art, pour le fantasme, pour le légendaire que les jacobites n’eussent été jamais restaurés ; un jeune prince luttant pour récupérer son droit de naissance, de courageux guerriers devenus des martyrs, est une image assurément romantique et un sujet idéal pour tout écrivain. Les réalités d’un nouveau monarque auraient sans doute été bien en deçà de ces idéaux…
Quoi qu’il en soit, hier ou aujourd’hui, quelque chose traverse l’Écosse et semble plus grand et plus fort que ce qui l’écartèle. À cet égard, laissons le mot de la fin à Stevenson, lorsqu’il écrit les mots suivants en 1882, laissant entendre que l’Écosse est à l’Angleterre ce que Hyde est à Jekyll (ou l’inverse…) : « Le fait demeure : même s’ils n’ont pas le même sang ni le même langage, le Lowlander se reconnaît, d’un point de vue sentimental, comme le compatriote du Higlander. Lorsqu’ils se rencontrent à l’étranger, ils tombent en esprit dans les bras l’un de l’autre ; jusque dans leur maison, on sent dans leur conservation qu’ils partagent une sorte d’intimité clanique. Mais, de son compatriote du sud, le Lowlander se tient intentionnellement à distance. Il a reçu une éducation différente ; il obéit à des lois différentes ; il rédigera son testament dans d’autres termes ; selon d’autres procédures, il divorcera et se mariera ; il se sent étranger lorsque son regard embrasse un paysage anglais ou lorsqu’il se trouve dans des demeures anglaises ; son oreille n’est pas accoutumée à l’intonation anglaise au point de l’oublier ; et, même si sa langue acquiert l’accent du sud, son esprit conservera toujours un fort accent écossais. » (24)

ANNEXE

Nous aurions pu choisir des extraits de romans de Walter Scott ou de R. L. Stevenson pour illustrer notre propos, mais ils sont déjà très représentés dans tous les corpus. Nous avons préféré le modeste, mais génial, Barrie, qui est moins cité et qui, l’air de ne pas y toucher, avec son exquise subtilité et sa non moins exquise ironie, expose toute la complexité de la situation écossaise, par rapport aux Anglais, entre les Écossais des Highlands et ceux des Lowlands, quant aux divers langages de l’Écosse qui coexistent… Les répressions sont évoquées de manière précise, mais sans dramaturgie, et la « mise en mythes » de l’histoire jacobite est bien présente. Le conte est, en outre, une véritable ode à la gloire du fantasme jacobite, et peut se lire à plusieurs niveaux.

Extraits de :
Adieu, Miss Julie Logan
Un conte d’hiver
(Traduction Céline-Albin Faivre)
Arles, Actes Sud, 2012

 pp-36-41 : évocation de Bonnie Prince Charlie et de Flora MacDonald et de la peur sous-jacente, ainsi que de la naissance du mythe.
« Dans le glen, on parlait d’eux en retenant son souffle ; les gens de là-bas préféraient ne prendre parti pour aucun des deux camps, sinon pour les deux ; ils ne les auraient certes pas trahis et livrés à l’ennemi qui les pourchassait avec des chiens, mais ils n’auraient pas davantage entretenu de plein gré des relations avec eux : ils regardaient de l’autre côté si d’aventure ils croisaient un homme décharné, l’un de ces Jambes Rouges, et cela advenait parfois, lorsque le rebelle en question transportait dans sa tanière des moutons beuglants, un chevreuil ou encore un saumon que les loutres avaient laissé sur la rive du ruisseau après en avoir prélevé une bouchée sur la nuque.
Ces gens du glen étaient trop poltrons pour appeler les fugitifs des jacobites. Ils disaient : « les Étrangers ».
À une occasion, ils dirent : « La Personne Qui Était Avec Lui », comme s’il leur semblait plus malin de ne pas en dire davantage. « Lui » désignait l’Étranger, qui passait aux yeux du simple d’esprit pour le Chevalier en personne. Il aurait séjourné un temps dans le glen au cours du mois de juillet : il était fiévreux et on le recherchait de toute part, si bien qu’aucun de ses amis n’osait s’approcher de lui pour lui apporter de la nourriture, de crainte qu’il ne fût capturé. Je n’ai pas entrevu cette cachette, mais le docteur m’a dit qu’elle existait encore et que ce n’était rien d’autre qu’un repaire niché sous ce que nous appelons un abri – c’est-à-dire un refuge pour les moutons. À l’origine, il s’agissait probablement de l’embouchure d’un terrier de renard élargi à coup de dague. S’il a jamais existé, le repaire a depuis longtemps été comblé avec des pierres, qui sont tout ce qui rappelle ici la résidence royale.
Les moutons s’abritent à nouveau dans ce refuge, mais il n’y en avait aucun au temps du Prince, s’il vint jamais ici ; de même, si l’on se fie à ces histoires, on ne pouvait pas davantage lui apporter de la nourriture. Dans ces conditions, il avait été sauvé par la mystérieuse Personne Qui Était Avec Lui.
(…)
Au dire de tous, il s’agissait d’une jeune fille et, dans le glen, la bruyère blanche, dont on n’avait jamais vu le moindre brin avant sa venue, témoigne de son ancienne présence ; et cette plante est donc censée — c’est absurde — être la trace de ses jolis pieds nus.
La bruyère blanche ne lui porta guère chance. Lors de cette fuite précipitée et peut-être ensanglantée, elle fut laissée en arrière. On ne sait rien de plus à son sujet, excepté ceci : lorsque son seigneur et maître embarqua pour la France, il demanda à ses highlanders « de la nourrir et de l’honorer comme elle l’avait nourri et honoré. » Ils furent loyaux bien qu’imprudents ; mais j’ose croire qu’ils auraient accompli ce devoir s’ils l’avaient pu. Certains pensent qu’elle est encore dans l’abri, à l’intérieur du trou creusé dans le roc, et qu’elle attend. Ils disent qu’il y eut peut-être une promesse… »

 pp.56-57 : Mémoricide en acte…
« Maintenant Posty joue sur mon violon et il a délaissé sa cornemuse, qui n’est pas dans un meilleur état que son vélocipède et est réparée d’une manière semblable. Je lui arrachai simplement la promesse de ne point jouer les funestes airs jacobites qu’il adorait (…). »

 pp. 107-111 : Le plus beau passage du livre, probablement. Il est très significatif pour qui sait lire entre les lignes. Le narrateur se mire, en quelque sorte, dans le passé et voit dans l’eau le reflet du temps jadis. C’est aussi une métaphore du travail de l’auteur, de l’écrivain écossais qui relie le fil de son œuvre à celui du légendaire national.
« Lorsque je me retrouvai dehors, j’errai comme une âme en peine sans savoir où aller. La moitié de mon âme combattait l’autre. Pris d’un terrible accès de mélancolie, je m’assis auprès du petit loch dont j’ai déjà parlé. La nuit était morne, le plus modeste quartier de lune l’éclairait à peine et, hormis quelques vaporeuses étoiles, il n’y avait pas un reflet dans l’eau. Je ne sais pourquoi je m’étais assis là. Ce n’était pas dans le but de monter la garde : je suis bien certain que je ne soupçonnais pas le moins du monde la présence de Miss Julie Logan dans la maison.
Il se passa peut-être un temps considérable avant que je ne visse ou n’entendisse quelque chose. J’entendis d’abord une musique dans le lointain. Il ne pouvait s’agir que de Posty, jouant à quelque distance de là la plus condamnable mais aussi la plus jolie de toutes les plaintes jacobites : « Ne reviendrez-vous jamais ? » Peu de temps après qu’il eut fini – si le musicien était bien un être humain –, tout fut de nouveau aussi calme que si la charrette de la mort – dont parlent mes fidèles – était proche du glen, attendant d’emporter avec elle la vieille année.
En catimini, une multitude de bougies commencèrent à être allumées dans l’eau. Je les épiai, la curiosité piquée au vif. La pleine lune avait déchiré les nuages pour se frayer un passage et c’était l’une de ces nuits où elle est d’humeur vagabonde. La grande fenêtre remplissait presque toute la pièce d’eau et, à travers elle, j’aperçus toute une foule dans la salle. Aussi longtemps que mes yeux furent fixés sur la surface de l’eau je ne voyais, bien entendu, que leurs reflets. Ils m’apparaissaient la tête en bas, comme dans un miroir inversé, et ils semblaient aussi agréables à regarder que dans l’autre sens ; lors du dernier soubresaut de l’année, la Nature a peut-être elle-même l’esprit sens dessus dessous.
Ils étaient habillés à la manière traditionnelle des Highlands, celle du Auld lang syne . Je ne les voyais jamais tous en même temps, parce que s’ils s’approchaient trop près, ils étaient perdus dans la verdure et, s’ils reculaient, ils traversaient les murs, pleins d’aisance. Les dames les plus âgées arboraient des coiffes distinguées et les autres des anglaises ; elles étaient apprêtées avec plus de luxe que les hommes et, pourtant, c’étaient ces derniers qui offraient le plus élégant spectacle. J’entrevoyais des pantalons de tartan et, de temps en temps, l’éclat d’un bouton d’argent ou le miroitement de l’acier ; mais presque toutes les couleurs s’étaient estompées, comme si elles avaient séjourné trop longtemps au cœur de certaines grottes ou en compagnie des aigles.
De temps à autre, une grande quantité de nourriture était présentée à table et ils portaient des toasts. Je n’étais pas toujours en mesure d’attribuer un sens à leurs gestes mais je les vis danser et converser et, bien qu’ils fussent peut-être pauvres et désespérés, tous, les hommes aussi bien que les dames, me paraissaient splendides. Leurs gestes étaient empreints de rudesse, comme s’ils avaient oublié les bonnes manières, mais la minute suivante ils faisaient montre d’un panache plus magnifique encore que celui des cornemuses. »

p. 136 : Révélation de l’identité du fantôme dont le pasteur est amoureux : elle est catholique et, en l’occurrence, jacobite.                                                                 « Elle dit : « Embrassez-moi d’abord, Adam, au cas où vous seriez contraint de me laisser tomber. » Je l’embrassai. « Serrez-moi plus fort, au cas où, d’un geste malheureux, vous me laisseriez glisser. » Je la tins plus serrée. « Adam, mon cher, voilà, je suis catholique ! » À ce mot affreux, je la laissai tomber dans le ruisseau. Là où elle est encore, j’en suis certain, bien que, vraisemblablement, elle ait été emportée plus bas par le courant. »

BIBLIOGRAPHIE

{Elle est succincte, car elle est strictement limitée aux œuvres qui ont effectivement servi de matière ou de références, même ponctuelles, à cet essai. Il ne s’agit probablement pas d’une « bibliographie dressée dans les règles de l’art » puisqu’il ne pouvait être question de lister tous les ouvrages de référence sur le sujet, ce qui aurait constitué à soi seul, un travail titanesque et hors de propos, puisque ces pages ne prétendent ni à l’exhaustivité ni à une objectivité parfaite, lesquelles sont impossibles dans le cadre de ce court essai ou de l’exercice de style…}

Anderson, Benedict, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, London, Verso, 1983
Barrie, J. M., Adieu, Miss Julie Logan, trad. C.-A. Faivre, Arles, Actes Sud, 2012
Boswell, James, Voyage dans les Hébrides, traduction Marcel Le Pape, Paris, Édition de la Différence, 1991
Gellner, Ernest. Nations and Nationalism, Ithaca, Cornell University Press, 1983
Donaldson, William, The Jacobite Song: Political Myth and National Identity, Aberdeen, Aberdeen University Press, 1988
Duchein, Michel, Histoire de l’Écosse, Paris, Fayard, 2008
Duffy, Christopher, Fight for a Throne: the Jacobite ’45 reconsidered, Warwick, Helion & Company, 2015
Dunyach, Jean-François, Histoire de l’Écosse, Paris, Que sais-je ?, 2023
Jamieson, John, Etymological Dictionary of the Scottish Language, 4 volumes, Édimbourg, The University Press, 1808
Galibert, Léon et Pelle, Clément, L’univers. Histoire et description de tous les peuples (Angleterre, Écosse, Irlande), 4 volumes, Paris, Firlin Didot frères, 1842
Hobsbawm, E. J., Nations and Nationalism since 1780: Programme, Myth, Reality, Cambridge, Cambridge University Press, 1990
Mackay, Charles, A Dictionary of Lowland Scotch, Londres, Whittaker and Co., 1888
Monnickendam, Andrew, A Hypertextual Approach to Walter Scott’s Waverley, Barcelone, Universidad Autónoma de Barcelona, 1998
Pittock, Murray. Great Battles: Culloden, Oxford, Oxford University Press, 2016
——— Jacobitism. British History in Perspective, New York, St. Martin’s Press, 1998
——— The Myth of the Jacobite Clans: The Jacobite Army in 1745, Édimbourg, Edinburgh
University Press, 2009
——— Scottish and Irish Romanticism, Oxford, Oxford University Press, 2008
Prebble, John, Culloden, Londres, Secker & Warburg, 1961
Raspail, Jean, Le Roi au-delà de la mer, Paris, Albin Michel, 2000
Scott, Walter, Histoire de l’Écosse, 2 volumes, Paris, Furne, Charles Gosselin, Perrotin, 1836
——— Waverley et autres romans, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003
Smout, T. C., A Century of the Scottish People 1560-1830, Londres, Collins, 1969
Souchon, Christian, Chants jacobites d’Écosse et d’ailleurs, 5 volumes, France, 2018 [autoédition du remarquable site de l’auteur : http://chrsouchon.free.fr/charli1f.htm ]
Stevenson, R. L., Le Maître de Ballantrae et autres romans, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2005
——— Memories and Portraits, Londres, Chatto & Windus, 1887

 Thèse
Berton, J., Aspects généraux de la morphologie et de la syntaxe du gaélique écossais, thèse, Brest, 1982

 Articles
Armitage, David, « The Anarchist Cinema of Peter Watkins in Perspectives », History 51 (9), pp. 23-25.
https://scholar.harvard.edu/files/armitage/files/watkins_3.pdf
Civardi Christian. « L’invention du kilt : de l’appropriation symbolique à l’expropriation physique » in Recherches anglaises et nord-américaines, N°29, 1996. RANAM N°29, L’invention de la tradition, pp. 63-87.
DOI : https://doi.org/10.3406/ranam.1996.1306
Gold, John R., and Margaret M. Gold. « The Graves of the Gallant Highlanders: Memory, Interpretation and Narratives of Culloden » in History and Memory, vol. 19, no. 1, 2007, pp. 5–38.
DOI : https://doi.org/10.2979/his.2007.19.1.5
Lavin, Mathias, « Prosopopées – visages et paroles dans quelques films de Peter Watkins » in Décadrages, 20, 2012
DOI : https://doi.org/10.4000/decadrages.227
MacKenzie, John M., « Empire and National Identities the Case of Scotland » in Transactions of the Royal Historical Society 8, 1998, pp. 215–31
DOI : https://doi.org/10.2307/3679295.

 Film
Culloden de Peter Watkins, Doriane Films, 2003

Notes :

(1) On nous autorisera peut-être ce néologisme, créé, en 1985, par un historien, Reynald Sécher, pour évoquer le génocide vendéen, qui demeure encore un tabou en France. Néanmoins, selon une autre échelle, le massacre de Culloden pourrait être comparé aux événements qui ont traumatisé la Vendée pendant la Révolution française.
(2) Nous adoptons la définition du « roman national » selon Ernest Lavisse (1842-1922), puisqu’il fut le premier, sinon l’un des premiers, à utiliser cette expression et, surtout, à la faire vivre en acte. Lavisse, qui écrivit plusieurs manuels d’histoire de France à destination des enfants sous la IIIe République, concevait ainsi l’apprentissage de l’histoire de France : un moyen de forger une conscience patriotique et de former de « bons citoyens » ; à savoir des êtres qui aimeraient leur patrie et la respecteraient, en exaltant des valeurs morales et, partant, seraient susceptibles de la défendre. Pour cela, il créa une vision linéaire et héroïque de l’histoire de France, transformant parfois des figures historiques en modèles.
(3) Il convient d’opérer immédiatement une distinction sémantique entre les mots « national » et « nationaliste », mais le glissement de l’un à l’autre incarne plus une différence de degré que de nature. Le mot « nationaliste » est empreint d’un engagement idéologique, qui exalte l’idée de nation, prêchant la suprématie de ses valeurs, de sa culture et de son indépendance. La conséquence en est un attachement fort à la nation, au point de défendre son unité, son identité, ses valeurs, ses modèles, sa sécurité, son autonomie, voire, dans les cas les plus extrêmes, sa supériorité par rapport aux autres nations et, lorsqu’il devient exclusif, l’idéologie à l’œuvre peut se développer au détriment d’autres nations ou peuples, y compris par la violence.
(4) « Bonnie » signifie en scots « joli », « charmant », « séduisant »…
(5) Les fameux days of Auld Lang Syne célébrés par certains écrivains écossais…
(6) La figure de Flora MacDonald, par exemple, demeure tendrement chérie par les descendants des jacobites et est entrée dans le folklore (et la légende). En effet, Flora Macdonald est la jeune femme que rencontra Bonnie Prince Charlie, aux îles Hébrides, où il avait trouvé refuge après la terrible bataille de Culloden, et où elle était en visite. Elle l’aida à s’enfuir, d’abord à l’île de Skye, afin qu’il rejoignît d’ici la France. Il se déguisa et prit les habits de sa femme de chambre irlandaise répondant au nom de Betty Bourke. C’est l’une des figures les plus légendaires et romantiques de l’histoire d’Écosse. Une chanson immortalise son dévouement et sa loyauté, Skye Boat Song, écrite en 1884, par Sir Harold Boulton.
(7) La situation des Lowlanders (habitants des Basses-Terres) était bien différente, nous le verrons plus loin.
(8) Il n’est pas question du scots, bien entendu. Le gaélique est la langue des Highlands et le scots, celle des Lowlands.
(9) Cf. en particulier Donaldson, William, The Jacobite Song: political myth and national identity, Aberdeen, Aberdeen University Press, 1988.
(10) Dont la base est le livre de John Prebble, Culloden.
(11) Mot-valise entré dans le langage commun suite au film éponyme d’Agnès Varda (1981), même si dans le cas de Watkins il s’agit davantage d’un « docu-fiction ».
(12) Diffusée en France, sur Netflix, c’est une série créée par Ronald D. Moore. Elle est l’adaptation de la série de romans de « fantasy sentimentale » (mixte de romans à l’eau de rose et de romans comportant un arrière-plan historique), très peu littéraire (en outre, la traduction française est tronquée et honteuse), intitulée Le Chardon et le Tartan (Outlander) écrits par Diana Gabaldon. Cf. la saison 2 qui intègre la bataille de Culloden dans le scénario.
(13) Cf. la Lettre ouverte de Peter Watkins à la presse, en 2000 que l’on peut lire ici : https://derives.tv/lettre-ouverte-de-peter-watkins/
(14) En effet, l’Écosse n’était pas unie, puisque les Lowlands (ou Basses-Terres) étaient majoritairement du côté des Anglais.
(15) Vie d’Agricola (De vita Agricolae).
(16) Lequel, lui aussi, mena une campagne brutale de soumission coloniale dans les régions nord de l’Écosse !
(17) Extrait d’un texte de présentation de son film par Peter Watkins, tiré de son site internet (http://pwatkins.mnsi.net/culloden.htm), notre traduction.
(18) Pittock, Murray, The Myth of the Jacobite Clans, Édimbourg, Edimburgh University Press, 1995, p. 2, je traduis.
(19) Tadié, Jean-Yves, Le Roman d’aventures, Paris, P.U.F., « Écriture »,1982, p.125.
(20) Mot qui semble provenir du scots « whiggamore », conducteur de bétail. Opposés aux Stuarts. Les tories (mot qui provient du gaélique « tóraidhe », désignant un hors-la-loi ou un brigand) leur étaient favorables.
(21) Notre traduction.
(22) https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/france-info-numerique/we-are-the-45-les-independantistes-ecossais-n-abandonnent-pas_1766587.html
(23) Boswell, James, Voyage dans les Hébrides, traduction Marcel Le Pape, Paris, Édition de la Différence, 1991, pp. 242-243 : « Cet épisode de notre histoire suscite toujours en moi une immense émotion. De même, les noms de nos anciennes familles ou le son de la cornemuse font battre mon cœur et me remplissent d’une sorte de mélancolie et de respect pour le courage, de compassion pour les vaincus, d’une vénération superstitieuse pour nos ancêtres, d’un pendant instinctif pour la guerre, en bref d’un afflux de sensations où la froide raison n’a aucune part. »
(24) Essai intitulé The Foreigner at Home (L’Étranger dans la maison) dans le volume Memories and Portraits, je traduis.